Les frontières ont toujours suscité des envies de passage. La curiosité est grande d'aller voir l'altérité qui commence derrière la ligne. Les différences d'histoires mais aussi de mentalités génèrent des activités économiques sur cette zone de contact. Le différentiel économique transforme souvent le pays le plus pauvre en victime de la consommation facile et du plaisir.
Bernard Plossu a voyagé profondément au Mexique dès 1965. La rencontre avec ce pays a été fondatrice pour sa vocation de photographe. La découverte sensible d'un monde métissé ou indien a contribué à asseoir son éthique de vie. Une compréhension profonde des formes, des comportements, de la musique ont participé de ses engagements esthétiques. Vivant dans l'Ouest américain dans ce début des années 1970, Plossu éprouve le besoin de revenir sur les périphéries du pays qui continue de le hanter.

En 1973, l'idée lui vient d'aller voir 'La frontera' au sud de la Californie. Il est fasciné par la différence d'énergie entre les deux pays. D'un côté le silence du conformisme, de l'autre les odeurs et les bruits de la vie mais aussi de la misère. Il lui faut expérimenter mais aussi témoigner. C'est une dette qu'il éprouve à l'égard du pays, lieu de son initiation. La caméra se fait plus sèche. La réalité sociale est très forte. La consommation est marquée par le modèle américain. Bernard Plossu photographie toutes ces marques avec détermination. Mais son engagement n'est pas que social. Il est aussi poétique et photographique. Cet univers d'exubérance visuelle, facticement festif est aussi générateur de décisions photographiques qui croisent ses préoccupations formelles.

La frontière n'est pas seulement une limite de territoire physique. Très vite, elle devient une question personnelle. Dans une dynamique comparative se pose la question de l'engagement, des limites, des convictions. Bernard Plossu très tôt vit cette expérience, politique et poétique.